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Hommage à Daniel Macher

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Daniel Macher nous a quittés le 18 décembre dernier, au seuil de Noël. Les quelques témoignages ci-dessous célèbrent le professeur d’allemand qui, des années durant, éveilla, instruisit, accompagna quantité d’étudiants de khâgne à Sainte-Marie. Mais aussi le collègue toujours disponible et l’ami fidèle. Pour Daniel et pour beaucoup d’entre nous, ces trois rôles restent indissociables.

 

Daniel a consacré une partie de sa trop brève retraite à traduire deux textes, Sur la mort d’Ernest Tugendhat et Le sens de la vie de Moritz Schlick. Au cœur de ce dernier texte, et comme clé pour répondre à la question posée du sens de la vie, la notion de « jeu », au sens « d’une activité accomplie totalement pour elle-même, indépendamment de ses effets et de ses conséquences ». Il me semble que Daniel a été et est resté joueur, même dans la maladie, en ce sens fort donné par Schlick qui équivaut à l’amour de la vie. Il a donné du sens à ma vie comme professeur, comme collègue, comme ami.

Comme professeur d’allemand d’abord, de 1986 à 1989, dans cette hypokhâgne et khâgne S, aujourd’hui devenue la BL, toute nouvellement créée à Sainte-Marie. C’est peut-être lui d’ailleurs qui en parle le mieux, dans ce discours qu’il prononça pour son départ en retraite : « Pour ces élèves d’hypokhâgne, je me remis à travailler. C’est parfaitement conforme à ce que j’aurai été. Je n’étais pas mon propre but, je n’avais pas assez d’ambition pour cela, je n’avais rien d’original à dire, à quoi bon essayer ? La raison et la paresse se rejoignaient harmonieusement. Mais travailler pour des élèves, ça, j’y étais prêt, et il est vrai que ce que j’ai le plus goûté dans le métier, ce ne fut pas le moment de la préparation nécessaire, mais toujours celui de la transmission, cet instant merveilleux où on aperçoit dans l’éclat d’une prunelle qu’un mécanisme vient d’être perçu, une idée nouvelle comprise ». Travailler la langue, la goûter dans tous ses registres, découvrir l’autre grammaire pour mieux connaître la sienne, jouer avec l’étymologie, avec les figures de style, était sa passion complètement bilingue. Linguiste, technicien (il le revendiquait et se moquait de ces philosophes qui font dire n’importe quoi aux mots), intraitable et grande gueule, amoureux inconditionnel de la grammaire et de la poésie, il était aussi un redoutable préparateur au concours de la rue d’Ulm, dont l’esprit généraliste convenait à cet humaniste. Comme tout vrai professeur, il était plus qu’un professeur pour nous. Ce n’était pas un professeur star, que l’on idolâtrait, mais un professeur auquel on s’attachait. A aucun autre moment je n’ai pu mieux profiter de toutes les facettes de sa personnalité que lors des voyages d’études que nous avons faits, comme à Berlin-Ouest en novembre 1988 avec la khâgne, comme jeune ancienne accompagnatrice dans le Prague tout juste sorti de son rideau de fer, puis plus tard à Vienne comme collègue avec l’hypokhâgne ou encore à Berlin : guide passionné et infatigable, qui n’acceptait de prendre en charge un voyage que s’il pouvait le préparer de A à Z, capable de commenter chaque rue et chaque bâtiment sans note, mais aussi gourmand et exigeant dans le choix des restaurants, de l’Opéra, ou du café-théâtre…

Comme collègue ensuite. Mais nulle rupture entre les deux, je crois que dès la khâgne il avait en tête la suite, pour Agnès Couzon-Gressier, pour moi. Il nous laissait libres, mais peut-être avait-il compris avant moi que son goût de la transmission avait été contagieux. Soucieux de notre point de chute après les concours, soucieux de notre « carrière » (plus que moi), il a toujours été là. Transmettre, c’est sans doute toujours appeler de ces vœux le moment où l’élève deviendra maître lui aussi, être l’instigateur, le complice de la vocation et y reconnaitre un lien supplémentaire. Nous partagions unedouble passion, celle de l’enseignement et celle de Sainte-Marie, par le lien si fort avec la Communauté Saint-François Xavier. Là depuis quasiment les tout débuts de la prépa, il s’en sentait co-responsable. Grand maître ès- recrutement notamment, mais aussi infatigable VRP de la formation par les humanités, lors de présentations où son discours direct et sa gouaille faisaient merveille, toujours soucieux à la fois de pédagogie et de stratégie, il était le recours. Se donnant sans compter, comme ces dernières années où il assura gratuitement un mémorable cours de grammaire française. Mais il lui arrivait aussi souvent de remuer dans les brancards trop maternants pour lui de notre accompagnement. Les étudiants sont des adultes, il faut les traiter comme tels, répétait-il, râlant qu’on leur assigne une place au concours blanc, ou exigeant qu’on les vouvoie. Quand Monsieur Macher était responsable du voyage, nul contrôle de leur retour à heure dite le soir, certains en ont bien profité…

Comme ami enfin et surtout. Mais là encore nulle rupture. Nous célébrions régulièrement et joyeusement ce lien en trois dimensions, notamment lors de déjeuners avec Laure Mounier, une autre de ses chères anciennes élèves de Sainte-Marie : nous parlions stratégie, projets, dangers à éviter, refaisions le monde de la prépa, mais toujours autour d’un bon vin, d’un bon plat. Je pouvais l’inviter avec Marie-Alice à dîner sans craindre que mon ours de mari ne me reproche de ne parler qu’entre collègues. Daniel avait su le mettre dans sa poche, car il était passionné du monde, de celui de l’entreprise, de l’hôpital, … et voulait les comprendre de l’intérieur. Professeur, collègue, ami, il l’a été jusqu’au bout, me protégeant de sa maladie, n’en parlant que quand il allait mieux, pensant, plus que moi qui ne pouvais l’envisager vraiment, ce que ce serait de vivre quand il ne serait plus là, et me donnant petit à petit des livres ou souvenirs comme autant de petits repères à mettre sur ce chemin. Le sens de la vie pour Daniel, c’était joyeusement le sens de l’autre.

Laurence Mathias, directrice des Classes Préparatoires de Sainte-Marie

 

 

Daniel Macher, un professeur - mon professeur -, un ami, un promontoire.

Un professeur à l’épreuve de toute grammaire! La seule licence acceptable ne pouvait être que poétique… Il a tracé devant nous et avec nous le chemin d’un rapport décomplexé à la langue : pas de costard, pas de cravate, la langue est vivante et gouleyante. Je lui dois l’agrégation.

Un ami d’une fidélité à toute épreuve…ce n’est pas peu dire. Déterminé dans son parti-pris de confiance et de bienveillance. J’en hérite une merveilleuse filleule, sa fille Claire.

Un promontoire à l’épreuve de l’érosion, toujours là, 

sauf qu’il n’est plus là.

Sauf qu’il l’est autrement, certes, c’est ma foi, et je ne voudrais pas le réduire à un souvenir - il est à vivre!

Dans le rapport vivant à une exigence de vérité, de fidélité, de détermination.

Sans doute éminemment dans l’exercice de la vertu de force? Lui qui aimait tant San Antonio, il l’aurait bien sûr formulé autrement…

Alors, Daniel, je compte sur ton assistance vivante!

Isabelle Schobinger, HK et Kh 1977-1980

Professeur d’allemand en Khâgne à Sainte-Marie

 

Dans la khâgne de Sainte-Marie, Daniel Macher a incarné de manière incomparable cet esprit généraliste dans lequel il voyait un admirable idéal de formation humaniste. Germaniste brillant et pointu, il avait du philosophe le sens de la rigueur dans le raisonnement, du littéraire le goût de l’expression précise et l’aversion pour le jargon, de l’historien la conviction que les grandes œuvres s’ancrent dans des référents qu’il faut connaître. Latiniste convaincu que Cicéron, Virgile, Ovide constituent le socle indispensable de notre culture commune, il avait le regret de ne pas avoir appris le grec, et l’apprit de fait une fois la retraite arrivée. Pédagogue intransigeant et chaleureux tout à la fois, soucieux de chaque individualité et sachant les progrès qu’il pouvait attendre de chacun(e), il a aimé transmettre les grands textes de la littérature allemande aux élèves de Sainte-Marie. Sans doute l’équilibre et la sagesse du Goethe classique lui convenaient-ils mieux que les emportements du Sturm und Drang, sans doute avait-il plus d’affinités avec la méthode du regard rilkéen qu’avec les tourments de l’expressionnisme, mais il savait se faire le passeur de chaque auteur avec la même exactitude. Les conférences qu’il donna à Sainte-Marie, notamment lorsqu’il vint parler de Lessing ou de Celan, furent des témoignages de sa générosité humaniste. Pour moi, avoir été le collègue et l’ami de Daniel au sein de la khâgne de Sainte-Marie fut et reste, plus qu’un privilège, un bonheur.

Stéphane Pesnel

Professeur d’allemand en Khâgne à Sainte-Marie

 

En 1997, Daniel Macher évoquait sa déjà longue carrière de professeur de Prépa à Sainte-Marie comme autant : « d’années heureuses d’enseignement et d’amitié, dues à une alchimie subtile (…) où la liberté de chacun, respectée, estimée, nourrit la communauté au lieu d’avoir un effet centrifuge. »

Daniel a largement contribué à cette « alchimie subtile », et il l’a entretenue jusqu’à sa mort. Il a permis aux liens d’affection et d’estime noués avec notre communauté Saint-François-Xavier de s’approfondir bien au-delà des paroles échangées, là où les âmes se rencontrent selon leur plus haute et leur plus secrète mesure. Beaucoup de gens sont chercheurs de Dieu et cherchés par Lui à travers la droiture de leur conscience et la fidélité aux choix qu’ils ont posés comme hommes, comme citoyens, comme époux et comme pères. Comme aurait dit Péguy, Daniel était de cette race-là. La race de ceux qui répondent présent. Il m’écrivait en septembre 2018, entre chimios et scanners : « Mon temps ne m’appartient plus ». Mais il y avait longtemps que son temps ne lui appartenait plus : sa famille, ses anciens élèves, ses collègues, ses amis le savent : son temps, il le leur avait déjà donné.

Marguerite Léna, Communauté Saint-François-Xavier

 

Les anthologies que vous nous aviez fait acheter étaient épaisses, austères, sur un papier jaune, sans aucune image… Mais… quand j’ai lu à l’université le texte de Tacite qui évoque la fameuse défaite des légions romaines de Varus face à Arminius, j’avais déjà entendu parler de lui sous son nom germanique, Hermann, et de la forêt de Teutobourg. Quand je vois un vol de grues, je pense toujours aux « Grues d’Ibycus » de Schiller et le mot allemand me reste en mémoire, ainsi que d’autres tout aussi improbables. « Eine feste Burg ist unserGott » : je ne pouvais imaginer en apprenant laborieusement ces vers de Luther qu’ils auraient un jour une résonnance pour moi : j’ai toujours une pensée pour vos cours quand il m’arrive de chanter ce cantique dans un temple, puisque j’ai épousé un protestant. Le début du poème « Die Lorelei » de Heine me trotte parfois encore en tête, et je me le suis récité en passant à vélo au pied de la colline au bord du Rhin il y a deux ans, trente ans après l’avoir appris : Ich weiß nicht, was soll es bedeuten, / Daß ich so traurig bin, / Ein Märchen aus altenZeiten, / Das kommt mir nicht aus dem Sinn

Alors, merci, Daniel, pour cette littérature que vous m’avez dévoilée et pour tout le reste.

Valérie Fauvinet-Ranson, Promo 87

Maître de conférence de langue et littérature latines au l’université de Nanterre

 

Durant les trois années pendant lesquelles Daniel Macher a été mon professeur d’allemand à Sainte-Marie, jamais je ne l’ai vu assis derrière le bureau. Quand il faisait cours à notre petite assemblée de germanistes, il se tenait toujours devant nous, debout, manches retroussées, débordant d’énergie.

Avec cet enthousiasme qui l’animait, Daniel m’a transmis, comme à bien d’autres sans doute, l’amour de la langue et de sa musique, m’a donné le goût de la poésie – le Roi des Aulnesou La panthère, et autres poèmes appris par cœur, m’ont nourrie pendant toutes mes années d’études germaniques et bien au-delà. Passionnant, Daniel l’était également « hors les murs », quand il nous emmena, en 1987, en voyage d’études à Berlin et nous fit découvrir quelques hauts lieux culturels de la ville alors divisée.

Homme de culture et inlassable pédagogue, il nous enseignait la rigueur de la méthode et la recherche du mot juste, mais tout ce qu’il nous transmettait, il le faisait avec humilité, nous invitant toujours - selon l’expression qu’il affectionnait – à « en faire notre miel ».

Sa générosité, enfin, n’avait d’égale que l’infinie simplicité avec laquelle il savait nous épauler : ses conseils et recommandations tout au long de l’année, ses paroles franches et revigorantes quand arrivait le temps du concours ou encore ces longues heures de conversation allemande à la veille d’un oral. A tout cela, je repense avec émotion et gratitude et je garde le souvenir, plus précieux encore, de son amitié chaleureuse et fidèle.

Agnès Couzon-Gressier, Promo 85

Professeur d’allemand en hypokhâgne à Sainte-Marie

 

 

 

 

 

 

 




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